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Pour un nouvel internationalisme des femmes : Le confédéralisme démocratique mondial des femmes

Conférence Internationale des femmes, Frankfort, 2018



Le premier principe de la lutte pour la libération des femmes est l’organisation. La liberté n’est pas possible sans organisation. Il est nécessaire de transformer les mouvements sociaux en structures permanentes. L’engagement des femmes en faveur d’un changement systémique en ce début de 21e siècle rend possible cette lutte pour la liberté. Nous devons donc porter notre lutte à un niveau supérieur. Nous devons organiser notre opposition et notre lutte contre le système antidémocratique, dictatorial et dominant. Si nos luttes ne sont pas intégrées dans un mouvement cohérent, les efforts de libération des femmes seront freinés. Le temps est venu de faire de la révolution des femmes une réalité et de faire du 21e siècle une époque de liberté pour les femmes. Les conditions sont plus favorables que jamais.


En tant que mouvement de libération des femmes kurdes, nous proposons le nom : Confédéralisme démocratique mondial des femmes pour l’unification des luttes mondiales des femmes.


L’objectif du confédéralisme mondial des femmes est d’améliorer l’unité de la lutte des femmes en préservant notre autonomie. En tant qu’organisations et mouvements de femmes, nous devrions être en mesure de développer des positions communes, de dépasser les divisions, de définir des stratégies et des tactiques communes de lutte et de coopérer pour mettre en place des structures colectives. Nous devons discuter et définir ensemble les principes d’organisation nécessaires à cette fin. Le contrat social, que nous avons proclamé en tant que mouvement en 2002 et sur lequel nous travaillons à nouveau actuellement, peut fournir un cadre fondamental que nous partagerons bientôt avec vous.


Le confédéralisme démocratique mondial des femmes n’est pas encore un concept ou un programme complètement développé. Nous sommes plutôt dans un processus de discussion qui a été inspiré, entre autres, par :


a) Les développements de ces dernières années au Kurdistan, en particulier le processus révolutionnaire au Rojava.


b) La participation accrue de groupes internationaux à ce processus, ainsi que la représentation de la lutte kurde dans d’autres parties du monde.


c) Les caractéristiques de notre époque, ses effets sur les femmes et, dans ce contexte, la nécessité historique de réaliser la révolution des femmes.


De plus, le mouvement de libération des femmes au Kurdistan a connu des évolutions internes aux niveaux idéologique, organisationnel, structurel, politique et social, comme la Jineolojî, la coprésidence et l’organisation confédérale du mouvement des femmes. Par exemple, la plus grande organisation parapluie de femmes kurdes, anciennement KJB (Koma Jinên Bilind - Haut Conseil des femmes), s’est rebaptisée KJK (Komalên Jinên Kurdistanê - Communautés de femmes du Kurdistan) lors de son assemblée générale extraordinaire au printemps 2014. Il ne s’agissait pas seulement d’un changement de nom, mais d’une restructuration selon le confédéralisme démocratique tel que conceptualisé par Abdullah Öcalan. En effet, le KJK n’est pas seulement la plus grande organisation parapluie du mouvement des femmes kurdes, mais aussi une structure confédérale.


Apprendre la démocratie

Le confédéralisme démocratique est un projet politique d’une démocratie populaire et transnationale qui s’oppose fondamentalement à l’État-nation. Le confédéralisme démocratique est donc l’alternative politique à l’État-nation de la modernité capitaliste. Öcalan décrit sa fonction et son rôle dans le troisième volume («Sociologie de la liberté») de son Manifeste de la civilisation démocratique en cinq volumes - traduit librement - comme suit : «Le confédéralisme démocratique est la forme politique fondamentale de la modernité démocratique. Il joue un rôle essentiel dans le travail de reconstruction et constitue l’instrument politique démocratique le plus approprié pour l’élaboration de solutions. Le confédéralisme démocratique de la nation démocratique se présente comme l’instrument principal pour résoudre les problèmes ethniques, religieux, urbains, locaux, régionaux et nationaux, dont le point de départ est le modèle fasciste monolithique, homogène et monochrome de l’État-nation créé par la modernité capitaliste. Dans la nation démocratique, chaque ethnie, chaque religion, chaque ville, chaque réalité locale, régionale et nationale a le droit de participer avec sa propre identité et sa propre structure fédérale démocratique».


Le confédéralisme démocratique, en tant que structure, est également fonctionnel car il contribue au démantèlement du pouvoir, de la domination et à l’apprentissage de la démocratie. Les organistaions verticales et horizontales convergent ici. D’innombrables entités forment une unité organisationnelle, tout en conservant leur autonomie interne. Elles ne sont pas organisées de manière hiérarchique, et représentent plutôt une pyramide inversée dans la dimension verticale. Horizontalement, elles sont organisés de concert avec d’autres entités, soit géographiquement, soit en fonction de leur contenu. Dans la pratique, cela signifie, par exemple, qu’un comité local d’écologie s’organise de manière confédérale avec les groupes écologistes d’autres localités, qui sont englobés dans une structure confédérale, mais qu’il est également organisé au niveau local avec des groupes de femmes, des municipalités, des coopératives, des écoles primaires, des groupes de jeunes, etc. au sein de conseils. Cette pratique de l’autodétermination et de l’autogestion sert à renforcer la politique démocratique, qu’Öcalan définit comme une unité de pensée collective, de discussion et de prise de décision. Pour lui, la politique est le contraire de l’administration de l’État. Selon Öcalan, l’État est la négation d’une société politique.


La politique est le centre de la recherche de solutions aux problèmes sociaux.

La démocratie, quant à elle, a besoin de la société politique pour exister. La société politique est la société qui réalise sa liberté en acquérant un pouvoir de pensée, de détermination et d’action dans les aspects essentiels de la vie. Les sociétés qui ne se politisent pas dans ce cadre ne peuvent ni déterminer leur destin, ni déterminer leur démocratie. Il existe donc un lien indissociable entre la politique, la liberté et la démocratie. Elles ne peuvent exister qu’ensemble.

[…] Nous avons plutôt besoin d’un mécanisme qui permette au potentiel intellectuel et pratique des femmes du monde de se concrétiser au niveau mondial et d’opposer une force efficace au patriarcat. Pour ce faire, nous devons aller au-delà de tout ce qui a existé jusqu’à présent, car nous nous trouvons dans une phase historique. Jamais, au cours des 5000 ans d’histoire du Patriarcat, la lutte pour la libération des femmes n’a revêtu un caractère aussi stratégique et la possibilité de réaliser la révolution des femmes n’a été aussi grande.


Nous sommes à une époque où le dilemme entre la lumière et les ténèbres, la justice et l’injustice, la libération et l’esclavage est particulièrement évident dans l’exploitation des femmes. Mais nous sommes aussi à une époque où les femmes insistent plus que jamais sur leur liberté.


L’articulation avec l’internationalisme au 21e siècle est l’autre axe de l’idée du confédéralisme des femmes.

Le mouvement de libération des femmes au Kurdistan a été internationaliste dès le début parce qu’il est socialiste, tout comme le mouvement de libération kurde, sous la direction du PKK. Déjà, sa déclaration fondatrice de 1978 se terminait par les mots «Vive l’indépendance et l’internationalisme prolétarien». Dans ses analyses politico-idéologiques de la fin des années 1980 et du début des années 1990, Abdullah Öcalan traite de plus en plus du socialisme qu’il qualifie de principe fondamental, dans ce contexte d’internationalisme prolétarien. Dans une analyse[1] de janvier 1990, il décrit la dialectique de l’internationalisme au sein du PKK comme suit : «Lorsque nous faisons progresser la révolution kurde en tant que mouvement de libération nationale, nous lui ajoutons le contenu internationaliste le plus essentiel. Nous faisons de notre propre révolution un pilier de la révolution turque d’une part, et un pilier des développements

de la libération nationale et démocratique au Moyen-Orient d’autre part. Notre position permet de donner de la force à la révolution démocratique et au socialisme en Turquie et pour d’autres peuples. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’avec notre cadre, nous apportons une réponse significative aux développements démocratiques et au socialisme dans le monde. Dans ce contexte, le socialisme réalisé dans le PKK est la meilleure réponse aux efforts d’auto-renouvellement du socialisme».


L’idée d’un nouvel internationalisme n’est pas nouvelle.

À partir des années 1990, Öcalan s’est de plus en plus préoccupé de la fin du socialisme réel, ce qui a conduit à un changement de paradigme au sein du PKK après le tournant du siècle. Ce faisant, il a toujours inclus l’idée et la pratique de l’internationalisme. Par exemple, dans une analyse du 1er mai 1993[2], il aborde les impasses auxquelles le socialisme est confronté à la fin du 20e siècle. Selon lui, l’un des principaux problèmes est que les questions les plus importantes de notre époque sont encore examinées avec des analyses du 19e siècle. Or, la conception des classes doit être modifiée, car la classe ouvrière, telle qu’elle est définie dans le Manifeste du Parti Communiste, par exemple, n’existe plus et le capitalisme ne se satisfait plus de l’exploitation d’une classe au sens étroit du terme. Cette époque est révolue. Bien sûr, cette exploitation existe toujours, mais elle est plus globale aujourd’hui car c’est toute une société qui est prise au piège. Le capitalisme a développé des méthodes de vol et d’oppression qui ne sont pas comparables à celles du 19ème siècle. Dans la même analyse, Öcalan propose une nouvelle Internationale et déclare une nécessaire reconceptualisation de l’idéologie socialiste.


Désormais, l’idéologie socialiste doit prendre la forme d’un programme et se réorganiser pour agir.


L’idée d’un nouvel internationalisme n’est pas nouvelle. De nombreux penseurs et penseuses socialistes se sont penchés sur cette question au cours des vingt à trente dernières années. Parmi eux, Murray Bookchin, qui a écrit en 1993 un essai intitulé «Un nouvel internationalisme» : «Dans la perspective de la fin du 20e siècle, nous devons certainement exiger plus que ce que l’internationalisme a exigé au 19e siècle. Nous devons construire une morale de la mutualité dans laquelle les différences culturelles de tous bords servent à faire progresser l’unité même de l’humanité - en bref, une nouvelle mosaïque de cultures vivantes qui enrichissent les relations entre les gens et soutiennent leur progrès, plutôt que de les fragmenter et de les diviser en de nouvelles «nationalités» et en un nombre croissant d’États-nations».


Pour le mouvement des femmes kurdes, la question d’un nouvel internationalisme au 21e siècle a beaucoup à voir avec le caractère de notre époque du point de vue des femmes. Il constate en effet qu’en ce premier quart du 21e siècle, la question des femmes est de plus en plus au premier plan en tant que principal conflit social. Abdullah Öcalan avait déclaré lors de la Journée mondiale des femmes en 1998 : «Tout comme le 21e siècle a été l’ère des partis bourgeois et le 20e siècle l’ère des partis ouvriers, le 21e siècle sera l’ère des partis qui placeront la question des femmes au centre de leurs préoccupations». Il apparaît de plus en plus clairement qu’Öcalan avait raison. Non seulement dans les développements déclenchés sous l’impulsion du mouvement des femmes au Kurdistan (comme l’autodéfense des femmes et la lutte contre l’État Islamique, la participation et la représentation égales dans le domaine politique, le principe de la coprésidence), mais aussi dans la lutte croissante des femmes pour la liberté, l’égalité, la justice, la dignité et la paix dans le monde entier. Jamais peut-être autant de femmes ne sont descendues dans la rue pour défendre leurs droits qu’aujourd’hui.


Jamais peut-être dans l’histoire autant de femmes n’ont exprimé ouvertement leur rejet du système patriarcal et capitaliste en place.


Le Nord global, qui a perdu beaucoup d’organisations de femmes au cours de la libéralisation des années 90, se trouve dans une phase de renforcement. Les grèves des femmes de cette année en Europe et, par exemple, les marches des femmes aux États-Unis, ainsi que les campagnes telles que #MeToo ou #TimesUp, en sont la preuve. La prise de conscience des questions de genre se renforce à mesure que le potentiel de conflit augmente. Cela ouvre de nouvelles possibilités pour la réalisation de la libération des femmes. En même temps, en tant que mouvements de femmes organisés, nous sommes confrontés à une grande responsabilité qui découle d’une nécessité historique. Le mouvement des femmes kurdes est convaincu que le 21e siècle sera le siècle de la révolution des femmes. Ce processus a déjà commencé, comme on peut le voir clairement au Rojava. Mais le système patriarcal tente par tous les moyens d’arrêter ce processus historique. La concentration des attaques misogynes dans le monde entier en témoigne. C’est pourquoi il est impératif que les femmes du monde entier luttent ensemble et concentrent ainsi leur force collective. Car ce n’est qu’ensemble que nous pourrons mener une lutte efficace contre le patriarcat et partant de là, contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression. Le système mondial hégémonique est fortement organisé. Pour le vaincre, nous devons être au moins aussi bien organisées, sinon plus.


Se battre vraiment ensemble

Comment pouvons-nous maîtriser cela, en tant que femmes organisées pour la révolution du 21e siècle ? Au cours des dernières décennies, de nombreuses tentatives ont été faites pour former des réseaux d’organisations de femmes à travers lesquels la lutte commune peut être menée. Cependant, nous constatons que les résultats ne correspondent pas aux exigences et aux nécessités de notre époque. [...]


Un pilier fondamental du principe de l’internationalisme est la solidarité internationale. Selon la définition marxiste, la solidarité internationale est aussi une question de soutien mutuel. L’importance du soutien mutuel entre les mouvements révolutionnaires, les mouvements de libération des femmes, les partis socialistes de gauche, les organisations anticapitalistes, les mouvements de libération des peuples, etc. est indiscutable.


Nous pensons que nous devons nous orienter davantage vers une lutte commune.


 Le soutien mutuel dans le cadre de la solidarité internationale est bien sûr une nécessité urgente. Mais cela ne suffit pas. Nous devons plutôt trouver des moyens de lutter ensemble et de nous défendre mutuellement.

Le soutien est une chose, la défense en est une autre. La défense va plus loin et est de nature plus radicale. On se soutient en se tenant les uns à côté des autres.


Quand je défends quelqu’un, je me mets entre lui et l’attaquant si nécessaire.


C’est une qualité différente, et c’est pourquoi nous pensons que, pour les femmes, une réévaluation du principe de solidarité internationale est nécessaire. Le confédéralisme démocratique mondial des femmes défend ce principe.


Nous sommes confrontés à des circonstances et à des besoins changeants. Nous reconnaissons que nous devons faire un pas de plus pour répondre à ces nouvelles circonstances et donc changer d’ère. Nous sommes convaincues que nous vivons une époque historique et que nous seules, en tant que femmes, pouvons déclencher une révolution capable de combattre efficacement toutes les formes d’exploitation et d’oppression.


La question des femmes est au cœur de toutes les questions sociales.

 Cette réalité est de plus en plus reconnue. La conscience de genre et de classe des femmes du monde entier se renforce. Nous devons profiter de cette grande opportunité pour réaliser la révolution des femmes. Mais pour cela, nous devons aussi nous occuper des formes d’organisation commune et de résistance. En tant que mouvement de libération des femmes du Kurdistan, nous aimerions remplir notre rôle et notre responsabilité en essayant de mettre nos expériences idéologiques, théoriques, politiques et pratiques au service de toutes nos sœurs. C’est pourquoi nous discutons de l’idée d’un confédéralisme mondial démocratique des femmes, à la fois comme solution et comme moyen de mener une lutte commune efficace, radicale et démocratique des femmes du monde entier contre le patriarcat. Nous voulons ouvrir le plus possible cette discussion, que nous avons entamée en interne. Car il est également très important que nous discutions, que nous trouvions des solutions, que nous prenions des décisions et que nous agissions collectivement. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons vraiment lutter ensemble


KJK (Komalên Jinên Kurdistan,

Communautés des femmes du Kurdistan)

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