Combattre le fascisme dans les Països Catalan
- Lêgerîn
- il y a 4 jours
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Arran est l’organisation de jeunesse de l’Esquerra Independentista, un mouvement politique révolutionnaire qui a pour but la construction de Països Catalans indépendants, socialistes et féministes dans l’objectif d’atteindre le communisme.

L’analyse du développement de l’extrême-droite dans la situation actuelle est une tâche difficile : elle demande des notions à la fois théoriques et pratiques pour comprendre une dynamique politique qui est liée à un contexte historique spécifique. Tout de même, bien que ce soit un phénomène complexe d’envergure internationale, l’étude de cas spécifiques aide à éclaircir la pluralité des tendances communes. L’étude du nationalisme espagnol confirme cette analyse.
Le développement du nationalisme espagnol — toujours associé avec la montée et l’évolution de l’extrême-droite — a pour objectif d’établir une identité enracinée dans un imaginaire réactionnaire composé de différentes caractéristiques culturelles, historiques et politiques qui sont utiles pour le maintien et la promotion des intérêts économiques et idéologiques des classes dominantes dans l’État. Cette construction nationale cherche à établir un imaginaire unifié pour la nation. Pour cette raison, le processus de consolidation de l’État espagnol a exclu symboliquement et administrativement d’autres identités, langages, cultures et nationalités.
Cela a généré des conflits, aggravés par la naissance et la radicalisation de différentes idéologies, et de mouvements politiques conservateurs et réactionnaires.
Cette rapide contextualisation sert de point de départ pour situer la renaissance de certaines variantes du nationalisme espagnol qui ont récemment pris d’assaut l’espace public et qui, dans le meilleur des cas, représentent un renouvellement radicalisé de tendances conservatrices préexistantes, c’est-à-dire un engagement idéologique pour le retour à une notion de l’Espagne antérieure à la Transition, caractérisée par un programme culturel excluant et défendant des mesures néolibérales. Sa résurgence est alarmante car la crise et la précarité actuelles permettent la politisation de secteurs de plus en plus larges des classes populaires, parmi eux la jeunesse.

Analyser la réalité pour prendre l’offensive
Alors, comment pouvons-nous expliquer la croissance de l’extrême-droite au sein des États espagnol et français ? De quelle manière cela contribue-t-il des éléments de réflexion pour comprendre la vague réactionnaire qui s’abat sur le continent et sur la planète ? Pour répondre à ces questions, il faut donner des éléments-clés pour comprendre l’émergence de cette tendance dans notre contexte.
D’une part, en comparaison avec d’autres pays européens, il faut souligner le délai relatif dans l’émergence de formations politiques d’extrême-droite avec une représentation parlementaire importante.
L’irruption électorale tardive de VOX ou d’autres expressions de l’extrême droite réactionnaire telles que Se Acabó la Fiesta (SALF) est expliquée d’une part par le fait qu’une grande partie des intérêts et des aspirations idéologiques de ces factions avaient traditionnellement été canalisés par le Parti populaire et d’autres groupes avec peu d’impact médiatique.
Dans le même temps, des symboles tels que la monarchie, la police et même l’armée ont tiré profit de la représentation de l’Espagne comme un territoire unifié.
Cependant, aux moments paroxystiques de la confrontation avec les aspirations de libération des nationalismes périphériques — récemment, le Procés Sobiranista en Catalogne — , la gamme des symboles et des options politiques réactionnaires au-delà des partis traditionnels s’est étendue, particulièrement lorsque ces derniers n’ont pas réussi à monopoliser la répression politique qui a suivi.

Dans le Països Catalans, cette dynamique s’est traduite par des gouvernements autonomes auxquels participait VOX (1) (dans le País Valencià et l’Illes), le triomphe électoral du Regarupament Nacional (Rassemblement national) en Catalunya Nord (un territoire sous domination française), la naissance de Revuelta (une organisation de jeunesse liée à VOX présente à travers l’Espagne) ou l’apparition de l’Alianza Catalana (AC) dans la Principat de Catalunya.
Dans le même temps, ces évènements ont mis en évidence le fond réactionnaire des programmes politiques de certaines formations — comme Junts per Catalunya (JxCat)— qui jusqu’ici avaient dissimulé leur caractère de classe sous la protection des aspirations indépendantistes de la base du mouvement de libération nationale catalan.
Dans un certain sens, le scénario politique actuel conclu le processus de réunification des porte-étendards parlementaires de la société : malgré le fait que le paysage électoral ait changé ces dernières années — du fait de l’émergence de Podemos et d’autres candidats régionalistes « progressistes », en plus des formations susmentionnées — cela n’a pas été produit par la multiplication d’alternatives programmatiques. Au contraire, la naissance de ces partis politiques a dans beaucoup de cas signifié la légitimation de politiques répressives, imposant le durcissement des conditions de vie pour les classes populaires et particulièrement pour la jeunesse. Cela montre comment les fausses promesses de renouveau démocratique et les proclamations contestataires de la social-démocratie et de l’extrême-droite renforcent les intérêts du grand capital. En clair, on fait du neuf avec du vieux.

Deuxièmement, quoique des moments comme celui-ci sont présentés comme des alternatives au désespoir, il faut comprendre que l’extrême-droite et les valeurs identitaires fonctionnent pour le maintien de l’ordre établi.
En conséquence, la construction du socialisme dans le Països Catalans doit aussi faire face à la lutte contre la réaction xénophobe à un moment où cette dernière canalise, particulièrement chez les jeunes, une partie du mécontentement social du fait de la crise économique ou écologique ou d’autres problèmes vers la politique institutionnelle et parlementaire. Par conséquent, malgré le fait que le renouveau esthétique de certaines tendances philo-fascistes les a propulsées sur la scène médiatique, depuis ARRAN nous faisons l’analyse que l’extrême-droite dans l’État espagnol a été historiquement protégée par les institutions nées de la dictature franquiste et du régime de Franco.
De ce point de vue, le cadre territorial espagnol et son intégrité constituent un des piliers fondamentaux de l’“Españolismo”, le nationalisme espagnol, compris comme une catégorie qui combine — dans les conditions espagnoles — la plupart des caractéristiques que d’autres courants d’extrême-droite représentent dans d’autres parties du monde. De même, au sein de l’État français, la croissance exponentielle du Rassemblement National et son opposition à l’immigration coïncide avec les principaux axiomes des traditions du fascisme européen.
Dans la même veine, les politiques promues par AC (2) ne remettent pas en cause les fondements du système et n’ont pas vocation à le faire ; en fait, elles contribuent à son renforcement par la répression et la division de la classe ouvrière dans un cadre national excluant. En définitive, cela signifie qu’à court terme, l’existence de ce parti régional contribue à diviser la classe ouvrière et sert les intérêts du grand capital espagnol, de la même manière que des branches autonomes de formations étatiques dans le País Valencià ou l’Illes.

Indépendamment de l’identité nationale qu’elle promeut, l’extrême-droite soutient et défend les intérêts de la grande bourgeoisie.
L’antifascisme, c’est de la lutte des classes
De notre point de vue, le travail d’organisation consciente de nations ou de peuples opprimés part du principe que le conflit dans ces territoires dépasse la lutte des classes au sens strict : en plus des classes autochtones, les classes de l’État s’enrichissent en maintenant leur domination politique et économique. Dans ces territoires, la remise en question du système de domination implique de combattre pour une identité collective qui dépasse les cadres établis, la transformant en un potentiel pour confronter la montée en puissance de la réaction. La création de cette identité, qui pour notre mouvement politique promeut le développement de la conscience de classe, doit comprendre le fait que l’affiliation nationale est une des couches de la personnalité individuelle et collective. Il est très difficile d’y échapper — même si nous n’en sommes pas conscients, notre manière de comprendre le monde est partiellement conditionnée par l’endroit où nous sommes nés ou notre lieu de vie. En fait, malgré l’internationalisation du capital, une bonne partie des mesures appliquées pour son renforcement sont mises en œuvre dans la matrice de l’État.
Quotidiennement, des centaines de symboles renforcent une certaine idéologie ou une idée de la nation ancrée dans les administrations, les institutions et les relations sociales de dominations. Pour ces raisons, des comportements ou des stratégies politiques qui sont étrangers à la réalité nationale conflictuelle dans laquelle la lutte pour la libération sociale dans le Països Catalans a lieu ont tendance à renforcer la disparition progressive du conflit politique et des caractéristiques culturelles de la culture minoritaire.

C’est dans ce sens que les organisations politiques et de jeunesse doivent promouvoir un processus de prise de conscience reliant les caractéristiques culturelles qui constituent la richesse de l’humanité et la dignité de notre peuple avec les conflits sociaux contemporains qui articulent une notion intégrante de la Catalanité. Il faut combattre pour cela avec toutes nos armes, en générant de nouveaux référents sur un front culturel vivant, lié à nos aspirations nationales et sociales et renouvelant la façon dont nous communiquons, en s’adaptant à de nouvelles plateformes et à de nouvelles luttes.
C’est à dire que nous essayons de générer une identité catalane qui est en conflit continu autant avec le nationalisme espagnol qu’avec le Catalanisme le plus réactionnaire ou le centralisme français.
Un Catalanisme qui intègre les nouveaux venus à travers la socialisation par les valeurs de liberté et d’égalité. Ce n’est pas une tâche facile, mais c’est une tâche urgente et indispensable que nous ne pouvons pas fuir en tant que jeunes femmes révolutionnaires.

Contrairement à d’autres mouvements politiques, l’Esquerra Independentista ne se réfugie pas dans une quelconque notion préexistante de Catalanisme mais ne nie pas non plus la question nationale pour se confronter à la montée en puissance de la réaction. Contrairement à Alianza Catalana ou aux expressions régionales du nationalisme espagnol, la culture populaire catalane réunit des valeurs communautaires et se retrouve dans un processus de changement constant et d’intégration de nouveaux membres de notre communauté. Cette notion d’identité s’oppose aux visions les plus réactionnaires du nationalisme espagnol ou catalan du fait de sa vocation internationaliste, construite dans la défense et la justification des caractéristiques culturelles et linguistiques partagées dans tout le territoire catalan.
Notre identité en construction est expliquée par une histoire de luttes et de résistances largement menées par les classes populaires.
Tout de même, le renouveau du front antifasciste implique non seulement de comprendre notre histoire, mais nous force aussi à faire face à des tâches urgentes. En première instance, il s’agit de clarifier le programme politique révolutionnaire et sa traduction immédiate. En d’autres termes, pour désarmer les politiques de séduction de l’extrême droite, nous devons attaquer ses fondements, profondément enracinés dans les entrailles du système capitaliste. Les mesures nécessaires pour confronter la crise actuelle ne peuvent être piochées parmi les outils du système capitaliste : que ce soit sur le font écologique ou pour défendre le droit au logement, le fascisme ne se range jamais du côté des intérêts des classes populaires.

Pour cette raison, un programme concret doit inclure des mesures telles que l’expropriation de logements pour la location sociale, ou des politiques économiques qui donnent la priorité à la transition écologique. Les capacités stratégiques et de proposition doivent être socialisées sur tous les fronts de l’organisation populaire et doivent pénétrer les différentes fractions de la classe ouvrière organisée, se répandant dans le même temps à travers le territoire et les secteurs non organisés des classes populaires.
La principale digue qui permettra de contenir l’extrême-droite est dans la rue, pas dans les institutions.
Une fois que ce programme, qu’un nombre grandissant d’organisations et d’espaces du mouvement populaire partagent potentiellement, a été élaboré, il faut le rendre effectif, le présenter à la société et convaincre à travers des mobilisations collectives et des victoires que l’organisation politique est le seul moyen de confronter la crise actuelle. Ainsi, nous discréditerons le racisme et les solutions xénophobes de l’extrême-droite.
Nous en voyons déjà des exemples sur notre territoire : la manifestation écologiste du 8 juin pour le mot d’ordre « Santé. Terre. Avenir. », les proclamations contre la touristification et la destruction des terres à travers le Països Catalans, la réponse à massive à la mise en œuvre du génocide palestinien ou la mobilisation annoncée pour reprendre le contrôle du marché de l’immobilier. Toutes ces mobilisations sont des symptômes d’un imaginaire d’espoir articulé pour combattre dans ces moments difficiles.

Un imaginaire qui reprend sa force en étant inspiré par les luttes féministes et les luttes pour la libération sexuelle et genrée, les leçons apprises du dernier cycle de mobilisations indépendantistes et les nouvelles formes d’organisation populaire. C’est tous ces référents qui, en innovant dans le domaine des pratiques de confrontation, de dénonciation et de politisation, ont accompli des changements idéologiques et ont amorcé un processus de conscientisation de classe.
C’est maintenant la tâche des organisations politiques de les synthétiser et de les transformer en propositions, en actions et en mobilisations.
En clair, il est évident que nous vivons des temps difficiles, mais pour paraphraser Linera, pour les révolutionnaires, l’air que l’on respire est fait de moments difficiles. Pour analyser correctement l’ennemi, le combattre sur tous les fronts, la tâche la plus urgente est de construire des horizons d’émancipation et les développer dans un présent conflictuel ; une tâche qu’à ARRAN, nous acceptons avec fierté et dévouement
1. Vox. Parti politique espagnol d’extrême-droite fondé en 2013 et qui a gagné en importance politique et électorale à partir de 2018.
2. Aliança Catalana. L’Alliance catalane (Aliança Catalana en catalan) est un parti indépendantiste catalan d’extrême-droite fondé à Ripoll en 2020.
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